« La Tour » d'Uwe Tellkamp
Par Farzad FARID
- 4 minutes de lecture - 699 motsVoici une lecture idéale en période de confinement ou de couvre-feu, un roman-fleuve de 960 pages ! Mais en même temps qui a envie de se lancer spontanément dans la lecture d’un livre d’un auteur allemand, Uwe Tellkamp, chirurgien né en ex-RDA, qui raconte de façon romancée son enfance et la fin de la RDA ? A priori pas moi !
Les circonstances sont cependant particulières, c’est une amie et ex-collègue, allemande née à Dresde, lieu où se déroule quasiment toute l’action du livre, qui me l’a offert 😃 J’ai attendu d’avoir un peu de temps libre pour le lire, avant de commencer un nouveau travail, et je ne l’ai plus lâché tellement c’était passionnant !
L’histoire se déroule dans un quartier bourgeois de Dresde appelé « La Tour ». La ville elle-même, assez bourgeoise, paraît anachronique dans cette Allemagne de l’Est qui essaie de gommer les différences sociales et de richesse en nivelant par le bas. Le héros principal, Christian Hoffmann est lycéen, fils d’un chirurgien réputé, médecin-chef d’un hôpital de la ville. Il a une famille nombreuse, elle-même entourée de nombreux voisins et d’amis dont nous suivons les péripéties. Il y a tellement de personnages que j’ai même fait une liste dans une note afin de pouvoir m’y retrouver.
La ville en elle-même est un personnage de l’histoire, ainsi que les nombreuses « maisons collectives », imposées dans le régime communiste, dans lesquelles vivent les protagonistes. Ces maisons portent des noms poétiques : « La Caravelle », « La maison des mille yeux », « La maison italienne », « La maison Wolfsstein », « La maison de l’étoile du soir », « La maison de la toile d’araignée », « La maison des dauphins »…
Le roman est trois choses à la fois :
- un récit d’initiation de ce jeune garçon qui grandit et s’adapte, en contournant les règles comme tout le monde, à ce régime communiste répressif ;
- la description absurde de ce régime communiste bureaucratique, délirant, oppressif et mourant à la fois, que l’on découvre à travers les aventures des autres personnages ;
- des moments poétiques quand on lit les écrits personnels de Meno Rohde, oncle de Christian, éditeur et correcteur dans une maison d’édition, coincée entre les règles de censure du régime communiste et l’envie de liberté de certains écrivains.
Il y a partout un paradoxe dans la vie des personnages. L’auteur a ainsi voulu restituer les tensions de ce régime communiste qui va disparaître mais qui ne le sait pas encore. Les gens se cachent pour parler, de peur d’être espionnés par des taupes de la Stasi ou des micros cachés. Même le cousin, qui a pris sa carte du Parti Communiste, est peut-être une taupe ? Alors on a beau être tous ensemble dans une fête d’anniversaire, on doit faire attention à ne pas parler trop fort…
Christian joue du violon, sur un violon ordinaire, mais il faut que son oncle et lui aillent dans un bureau spécial pour faire certifier que le violon n’a pas une valeur importante, auquel cas l’état va le confisquer ! On suit le parcours absurde des héros dans un bâtiment administratif immense, un labyrinthe, où chaque pièce porte un numéro cryptique, pour finalement faire la queue au bon endroit… Et même si l’expert teste rapidement le violon et déclare avec dédain qu’il n’a aucune valeur, il refuse de tester l’archet et oblige les protagonistes à refaire la queue un long moment avant de certifier l’archet, de nouveau avec dédain !
Tout le roman est décalé, parfois absurde, avec des pauses poétiques qui permettent d’échapper à la lourdeur du régime dictatorial. On rit, on pleure, on a des moments d’espoir, on s’arrache les cheveux devant les absurdités de ce monde… et on sent bien à travers ce livre que l’Allemagne de l’Est vit ses dernières années.
C’est un très bon roman, je l’ai bien aimé même s’il est parfois difficile à lire, et je le recommande à ceux qui veulent découvrir un peu la vie dans l’ex-RDA. Il y a un bon article du Monde de 2012 qui décrit bien le roman, pour ceux qui hésitent avant de se lancer dans la lecture de 960 pages.